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Jean-Luc Nancy : il continue à philosopher... avec nous.

12 September 2021

Jean-Luc Nancy : il continue à philosopher... avec nous.
PHILOSOPHY
JEAN-LUC NANCY

Jean-Luc Nancy en Japon, 1996 ; Crédit d’image : Osamu Nishitani

In memoriam Jean-Luc Nancy

C’est à l’époque où je travaillais sur Georges Bataille que j'ai été frappé par La communauté désœuvrée de Jean-Luc Nancy, qui a fait écrire à Blanchot La communauté inavouable. J'ai compris que l’auteur a brisé l'impasse dans laquelle Heidegger était tombé dans sa thématisation du Dasein en tant que Mitsein, et qu'il ouvrait la possibilité d’une pensée sur la communauté, comme sur l’être-avec, qui devrait saper la clôture de la métaphysique du sujet. Ce n’est plus la négation qui poserait un autre, mais le « partage » qui fait advenir les êtres comme autant d’êtres-avec. La coupure elle-même lie l’un et l’autre, sans médiation. Le sujet s’avère par le « toucher », par la « passion » de l’autre, ce qui rend possible la singularité de l'être dans sa pluralité. De plus, ce n’est ni l'« existence », ni l'« expression » qui s’impose ici, mais une « exposition » singulière, exposition mutuelle qu’est le « partage » d’être. Toutes les questions de l’être doivent être reconsidérées à partir de là.


J'ai rencontré Jean-Luc Nancy pour la première fois quelques mois après son opération de la greffe cardiaque. C’était L’époque marquée par la guerre du Golfe, un nouveau clivage du monde. Je l’ai vu en tant que traducteur de la Communauté désœuvrée. Je lui ai expliqué l’importance de son texte pour nous les Japonais, qui ont vécu la modernisation occidentaliste pour être intégrés, malgré tout, dans l’ordre globalisé. Nancy écoutait attentivement mes propos un peu hétérogènes pour la philosophie « orthodoxe » , comme sur le fait de superposition des discours français sur les discours japonais. Il semblait qu’il acceptait ma réflexion non comme une pensée impure, mais comme une pensée qui essayait de s’assimiler tout en voulant aussi « partager » la philosophie occidentale. Cette attitude constituait une grande différence par rapport aux autres philosophes.


Il n’y a d’autre terme que « destin » pour qualifier le fait qu’un penseur du « partage » a subit et survecu la greffe cardiaque, selon les circonstances personnelles et les acquis de la technologie médicale. Dix ans après, il a publié L’Intrus, où il réfléchit ou s’exprime sur l’état à la fois actuel et virtuel du « partage » de l’être, tel que prolongé dans une dimension politico-bio-technologique. Je l’ai tout du suite traduit en Japonais. C’est une pensée qui va loin, jusqu’au-delà de la ligne de demarcation de la vie contemporaine.


Quelques ans après, alors que je séjournais à Nantes pendant plusieurs mois, sa femme Hélène m'a informé qu'il ne lui restait que quelques jours à vivre. J’ai pris le TGV destiné directementà Strasbourg et me suis précipité à l'hôpital. Alors, ce que j’y ai trouvé, c’est Jean-Luc assis au bord de son lit. Il m’a dit que depuis la veille il avait repris la force miraculeusement, comme si son cœur le faisait revivre... Alors, nous avons passé quelques temps à discuter et à méditer sur « l'impossibilité de mourir », qui était notre sujet en commun. Même dans cette sorte d’êtat, au-delà de l’extrémité, Jean-Luc était indéracinablement et inlassablement philosophe. Il continue à philosopher... avec nous.

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