Les déchets : le mal
20 March 2023
Décharge, Paris, mars 2023 ; crédite d’image : Philosophy World Democracy.
Les concepts familiers du mal ont été dérivés des expériences d'une composante de la vie des anciens, qui comprend le sentiment de "dégoût" à la vue d'excréments et l'expérience de la privation. Aujourd'hui, le mal est un déchet et pour comprendre cette proposition, il faut étudier l'accumulation de déchets et l'accumulation de richesses en tant que déchets. L'ordure apparaît alors comme une puissance qui entoure ce qui l'engendre, sans avoir le pouvoir de la comprendre.
Authored by DIVYA DWIVEDI and SHAJ MOHAN
Translated by MAEL MONTÉVIL
Pour l'Association des Amis de la Génération Thunberg (AAGT)
Les déchets sont un mal. Cela apparaît comme une proposition évidente, c'est-à-dire si nous considérons que le "mal" est évident ; comme quelque chose qui apparaît dans la vie comme un mal qui cherche à être soulagé ; comme des sentiments d'inconfort qu'il faut faire disparaître pour retrouver un ordre familier ; comme une question qui s'immisce dans les régularités de la vie quotidienne. La poubelle est tout cela, et bien plus encore, dans le sens familier du mot "mal". Mais nous devons maintenant inverser la proposition - le mal est déchet - et essayer de la comprendre de la même manière que nous comprenons que le mal est une stérèse et que le mal est une stase.
Il peut sembler extraordinaire de désigner le mal par le mot "ordure", plutôt que de considérer l'ordure comme une espèce du genre du mal. Pourtant, en grec ancien, κακόν (Kakon), qui pouvait à l'origine signifier "déféquer", en est venu à désigner le mal, et son opposé était καλόν (Kalon), qui désignait ce que nous pourrions appeler le beau et l'ordonné. Ici aussi, nos conceptions du mal et les noms du mal étaient des composantes des modes de vie de l'époque. Ces composantes, qui en sont venues à désigner le mal et les lois qui les comprennent, identifiaient analogiquement le mal dans des actions et des fonctions très éloignées de leurs origines. Par conséquent, lorsque la présence de vomissures et d'autres excrétions dans la composante de la maison produisait du dégoût (κακόν) et menaçait la beauté, la santé et la prospérité (καλόν) de la maison, elle était considérée comme un mal par rapport à toutes les autres composantes de la ville. Le sentiment de dégoût et la peur désignaient les autres pratiques qui évoquaient les mêmes sentiments. S'engager dans le mal à des fins désirées était lui-même perçu comme dégoûtant, comme Sophocle le montre à travers la complainte de Philoctète,
Mais votre esprit corrompu, toujours à l'affût d'une embuscade, l'a bien entraîné, malgré lui, à être sage dans le mal (ἐν κακοῖς εἶναι σοφόν). (1)
En d'autres termes, la conjonction de ce qui peut être bon (la sagesse) et de ce qui est mauvais dans cette conception est dégoûtante. Comme nous le verrons, les ordures sont analogues aux conceptions anciennes et modernes du mal, mais les ordures sont une nouvelle naissance du mal.
Les précédents de la poubelle
À Paris, les travailleurs de l'assainissement sont en grève depuis février et refusent d'enlever les déchets de la ville. Cela nous donne à penser l’idée de déchets. La ville est jonchée d'ordures, s'élevant au-dessus des fenêtres, s'effondrant comme des châteaux de sable lorsque les rats grimpent sur ces petites collines, les sacs en plastique noirs éventrés déversant des fruits et de la chair en putréfaction sur les trottoirs mouillés.
La montagne d'ordures dans la ville de Kochi est l'une des 3000 montagnes de cette sorte en Inde. Cette montagne d'ordures de Kochi a la taille de plusieurs stades de football (2). Elle a pris feu en mars et pendant deux semaines, le feu n'a pas pu être éteint. Il est possible que ceux qui ont reçu le contrat de gestion de la montagne d'ordures l'aient eux-mêmes incendiée en raison de l'impossibilité de s'en débarrasser ailleurs. (3) Telle une bombe chimique paresseuse et persistante, la montagne d'ordures fumantes a envoyé de nombreuses personnes à l'hôpital et celles qui en avaient les moyens dans des abris éloignés. Personne ne sait encore à quel point les terres environnantes ont été empoisonnées par les fumées et les infusions de déchets.
Des montagnes de vêtements perdus dans le sprint de la mode du premier monde sont apparues en Afrique et en Amérique du Sud. Au Ghana, les vêtements mis au rebut forment de longs murs le long des plages, bloquant les pêcheurs et nuisant à la vie marine (4). Le désert d'Atacama au Chili, avec son éco-système sensible et sec, est considéré par les scientifiques comme analogue au paysage de Mars, où se trouvent les géoglyphes laissés par un peuple ancien, dont le shaman gigantesque. Les 59 000 tonnes ou plus de déchets qui arrivent au Chili s'empilent dans les montagnes de l'Atacama (5). Ces montagnes de déchets ont également pris feu, et nous ne connaissons toujours pas leur impact sur la terre et le monde (6).
Les déchets diffèrent des sens plus anciens de pollution, d'ordures et de détritus. Le sens plus ancien de pollution se rapporte au grec ancien λῦμα (saleté) et au latin lutum (boue), et il était utilisé pour signifier, entre autres, les "émissions nocturnes" des hommes, la souillure, la violation du caractère sacré d'un arrangement cérémoniel, la présence d'excréments d'animaux dans les rues. Toutes ces significations renvoient à la création d'un certain excès dans les manières, ou les conceptions, de la vie qui pourrait être rendu à la nature : dans les villes du XIXe siècle, les charrettes tirées par des chevaux constituaient un élément essentiel qui laissait nécessairement des excréments de chevaux dans les rues. Les déchets, quant à eux, étaient les matériaux issus de la construction ou de la destruction des bâtiments - pierres, gravats, boue, poussière, clous, morceaux de bois - qui pouvaient retourner à la construction ou être enterrés sans souci.
Souvent utilisé comme synonyme d'ordure, le mot anglais "garbage" est né des lois de la cuisine : les parties des animaux qui ne sont pas ou plus préférables pour le palais de l'homme, comme la tête des animaux et les intestins des oiseaux. C'est peut-être de cette même manière que le verbe transitif garber a été utilisé pendant un certain temps pour signifier "éventrer". Contrairement aux ordures, qui ont un sens universel, les choses garbage sont des éléments dont la fonction varie en fonction des lois qui les régissent. Par exemple, les entrailles d'oiseaux considérées comme de garbage pouvaient être données en pâture à des animaux autres que l'homme. Dans un certain endroit, la graisse de porc pouvait être un composant pour nourrir les animaux, tandis qu'ailleur, on pouvait se servir de la graisse pour les roues des charrettes, et ailleur, comme combustible des lampes à mèche. Dans les villes riches du monde, avant qu'elles ne soient "aseptisées", les chiffonniers rassemblaient les déchets des vies heureuses, séparaient le métal et le bois de la nourriture et gagnaient honnêtement leur vie. Les poètes et les écrivains ont tenté par l’imagination de s’approcher des chiffonniers :
On voit un chiffonnier qui vient, hochant la tête,
Butant, et se cognant aux murs comme un poète,
Et, sans prendre souci des mouchards, ses sujets,
Epanche tout son coeur en glorieux projets. (7)
Nous pouvons voir des ordures et des déchets dans les villages du monde où tout n'est pas étiqueté par les entreprises - riz, légumes, lait, viande, vêtements, tapis. Dans ces villages, les pelures des oignons et des carottes peuvent être jetées (δια βάλλω) dans le jardin pour les oiseaux. Les vieux vêtements protègent les abris des animaux contre le vent et le froid. Les excréments des animaux deviennent des galettes séchées de combustible et de fumier. Les tuiles de pierre sont collées avec de la boue, de la bouse de vache, des chiffons et des cheveux pour former des toits étanches. Les déchets et les ordures sont des éléments de l'organisation de la vie qui s'éloignent (comme les pelures d'orange jetées dans le jardin) et se rapprochent (comme le fumier) les uns des autres selon leur loi de compréhension. Il n'y avait pas d'anomia entre ces éléments de la cuisine, de l'enclos des animaux et du jardin.
Les éléments qui composent chaque chose ont des lois componentielles qui renvoient à la régularité de ces choses. Dans la cuisine paysanne, l'une des régularités des oignons et des pommes de terre est qu'ils sont épluchés. La régularité de l'épluchage des légumes est qu'ils vont dans le jardin. Il y a un pouvoir homologique dans ce que l'on conçoit comme des légumes, en ce sens qu'ils peuvent répondre à deux lois componentielles différentes : celle de la nourriture pour l'homme et celle de la nourriture pour les animaux et les plantes. De la même manière, la graisse de porc possède le pouvoir homologique de devenir de l'huile pour les lampes, de la brillance pour les murs, de la graisse pour les roues. Autrement dit, chaque chose peut relever d’une régularité différente, voir de plus d’une. En cela les chose sont polynomiques. Ces puissances homologiques qui sont polynomiales sont reliées entre elles par la loi compréhensive des composantes, qui ne peut être réduite à l'une des lois componentielles. La lampe à mèche n'est pas la loi de la ferme.
Il y a au moins trois ordres de maux qui peuvent s'emparer d'un système : la critique, la stase et l'anomie, les deux derniers devant nous préoccuper. La stase apparaît lorsqu'une loi componentielle cherche à être la loi compréhensive du système. L'anomie est l’incompréhensibilité des relations entre composantes par la loi compréhensive (8).
L'anomia des déchets
Par coïncidence, c'est avec l'apparition de la "poubelle" que l'on peut également voir le début de l'apparition de l'ordure qui est née d'un souci de beauté (pour belle). Elle a été introduite pour l'embellissement (pourbellecation) par Eugène Poubelle. Lorsque M. Poubelle a introduit les poubelles - boîtes Poubelle - comme élément obligatoire des maisons à Paris, il a également retiré les chiffonniers des rues. Les cercueils d'ordures et de déchets coïncident avec l'émergence de l'ordure, comme ce qui peut être enlevé de la ville, mais ne peut jamais être retourné sous quelque forme que ce soit à la ville. Avec l'apparition du plastique au début du 20e siècle, les déchets ont augmenté proportionnellement à ce que l'on appelle la "croissance économique". Comme nous le savons, le plastique, sensé être capable de polynomia, n'est plus plastique une fois qu'il a été moulé pour une fonction particulière, et sa vitesse de décomposition est comparable à celle de l'ambre.
Nous sommes progressivement entrés dans une ère où tout devait être acheté sur un marché, qui se présente aujourd'hui comme la loi fondamentale de la vie. Peu de gens se souviendraient du riz, du sel et du sucre sans leur emballage et leur nom individuel collé dessus pour "différencier les produits". Aujourd'hui, toutes les choses ont des marques et il faut les éplucher, mais les épluchures ne peuvent pas être jetée dans le jardin. Les déchets industriels sont une extension du système même de l'épluchage non-jetable . Le progrès de la vie du consommateur à travers la « différenciation des produits » et la vie de l’ »économie » génère proportionnellement des déchets comme ce qui ne peut revenir sous aucune forme, en tant que composant du système qui « grandit ». Le processus consistant à jeter quelque chose sans tenir compte de sa relation avec tout le reste rappelle un autre sens plus ancien du mot « mal » – διαβάλλω- ou jeter en travers, d’où vient également « diabolus » dans le sens de celui qui calomnie.
Sous une autre forme, les déchets sont la variable endogène qui constitue le paramètre de l’ensemble du système. Si nous prenons le système de l’agriculture rurale à petite échelle, la gestion de la terre et de ses processus se réfère aux variables endogènes de ce système qui comprend le travail du sol, les semences et l'alimentation du sol ; ce sont des variables qui varient avec les phases de l'agriculture en relation les unes avec les autres. Le soleil et les pluies sont les variables exogènes de ce système, qui sont donc considérées comme les paramètres (ou constantes) de ce système agricole. Les déchets, en revanche, croissent proportionnellement à la croissance du système de production, mais ils ne reviennent jamais dans le système en tant que variable, au sens où les tiges de blé reviennent dans le champ en tant que fumier. Les déchets se développent comme une variable exogène qui doit être maintenue à l'écart du système qui la produit, sans (jusqu'à présent) affecter directement le système de production. Dans une compréhension commune à travers plusieurs relais d'analogie, le problème des déchets peut être pensé à travers le concept scientifique (et non philosophique) de l' entropie. Par exemple, le soleil, selon un tel concept, est l'entropie en tant que variable exogène entrant dans le système agricole qui la réduit. Nous pouvons constater que les déchets ne se soumettent pas à cette analogie de l'"entropie", bien qu'ils soient souvent décrits en termes d'"entropie croissante".
La création du trash a également créé l'ethos du trash, ou les mœurs qui font résonner l'analogie par rapport aux autres domaines qu'elle capture. La fonction poubelle - quelque chose de produit qui échappe à la loi de l'entendement et qui ne revient donc pas en tant que composant - est partout. L'expression impardonnable "white trash" renvoie aux fonctions poubelles. Au cours des dernières décennies, le travail est devenu temporaire. Il correspond aux emplois qui sont devenus, comme les sprints de la mode, éphémères. Les emplois qui ont perdu leur sprint ont fini avec les hommes qui les occupaient dans les cercueils, les vivants - les déchets vivants de l'humanité - qui existent en dehors des ordres de production qui les ont créés.
Si la fonction de poubelle a commencé avec la poubelleisation des villes qui a éliminé les chiffonniers, aujourd'hui la plupart des emplois ont le caractère des chiffonniers. Si l'on se souvient des réparateurs de télévision, des employés des centres d'appel, des ouvriers d'usine, des pirates informatiques époustouflants, des vendeurs de supermarchés et des vendeurs d'assurance, on peut également percevoir leurs vocations dans les ordures. Ils ne sont pas déplorables, c'est l'éthos-poubelle de l'ordre politique qui les a installés dans les cercueils des vivants qui est déplorable. Au vin de Baudelaire se sont ajoutées de nouvelles intoxications, capables de donner aux chiffonniers de notre temps un éveil somnolent et une vivacité mortifère. Ces "progénitures divines du soleil" produisent l'homme comme une ordure - la pharmaceutisation des vies produit l'ordure humaine.
La fonction de poubelle a depuis pénétré le monde universitaire, où les travailleurs sont les enseignants auxiliaires et temporaires. L'insécurité de leur travail a contraint nombre d'entre eux à se prostituer et à vivre dans leur voiture (9). Chaque année, plusieurs universitaires abandonnent la profession ; les universités créent elles-mêmes des personnes comme des déchets hautement éduqués à laisser dans la décharge humaine (human fill) croissante, semblable aux décharges (landfill). Pendant ce temps, leurs étudiants sont anxieux de leur avenir, qui est principalement lié à l'endettement des études, et dorment dans des parkings (10). La profession de la raison (11), une composante nécessaire des démocraties pour enquêter continuellement et clarifier leurs raisons, est elle-même un système de production d'ordures qui produit des savants comme des ordures.
Il peut être tentant de penser que ces processus sont égaux ou analogues à l'analyse des sociétés capitalistes dans le discours marxiste, où les catégories auxquelles l'analyse conduit sont la division entre la bourgeoisie et le prolétariat. Dans le manifeste communiste, le prolétariat se trouve dans une articulation proportionnelle avec le capital - comme le capital croît, la quantité de prolétaires augmente également,
En proportion du développement de la bourgeoisie, c'est-à-dire du capital, se développe le prolétariat, la classe ouvrière moderne, une classe de travailleurs qui ne vivent que dans la mesure où ils trouvent du travail, et qui ne trouvent du travail que dans la mesure où leur travail fait fructifier le capital. Ces ouvriers, qui doivent se vendre à la pièce, sont une marchandise, comme tout autre article de commerce, et sont par conséquent exposés à toutes les vicissitudes de la concurrence, à toutes les fluctuations du marché (12).
Le processus de prolétarisation au sens marxiste est encore en cours dans la plupart des régions du monde. Le cas le plus connu de ces dernières années est la grève des agriculteurs en Inde, où les agriculteurs ont remporté une rare bataille contre un gouvernement fascist qui a introduit de nouvelles lois visant à supprimer l'autonomie des personnes qui continuent à vivre de la terre (13).
Le principe de l'analytique marxiste est de transformer la polynomie d'une chose, ou de choses en relations, en objets fonctionnellement isolés ; lorsqu'un arbre est coupé et que le bois est sculpté en statue. C'est un concept aux résidus hégéliens, alors que chez Marx cette "activité sensuelle" est le seul témoignage de la réalité (14). C'est dans le sens de ceux qui, par leur activité d'isolation fonctionnelle des choses en produits, sont conçus comme les revendicateurs du pouvoir révolutionnaire, le prolétariat. Cependant, le discours marxiste suppose que le prolétariat est, souvent en principe en raison de sa position dans le système de production, ignorant de la loi compréhensive du système. En d'autres termes, le prolétariat a le réconfort de ce qu'Engels appelle la "fausse conscience" ; comme le chiffonnier de Baudelaire, il rêve de la trajectoire à laquelle son dur labeur le mènerait, la vie de la bourgeoisie (15).
Au lieu de cela, les déchets humains ont été abandonnés par les systèmes de production ; ils n'ont plus accès à l'"activité sensuelle" par laquelle la réalité est touchée par l'homme ; et ils n'ont pas la "fausse conscience" qu'un jour ils deviendront eux aussi des Gates, Musk et Murdoch. La poubelle humaine n'est ni un prolétariat ni une matière (du moins pas encore) pour la production de plus de poubelles.
Enfin, bien qu'il soit compliqué de l'analyser avec suffisamment de brièveté et de facilité, nous sommes à l'ère de la richesse-poubelle. Le fait que les cinq hommes les plus riches aient chacun une "valeur" de plus de cent milliards de dollars attachés à leur nom devrait indiquer que cette richesse, qui s'accumule comme des déchets dans les déserts, n'a aucun rapport avec le monde dans lequel elle est produite. L'argent-poubelle créé par la combinaison de la manipulation des banques et des marchés boursiers se manifeste dans les chutes extrêmes d'hommes du sommet de la liste des plus riches ; par exemple, un milliardaire a perdu sa valeur de 63 milliards de dollars en l'espace de quelques semaines (16). La production de richesses de rebut nécessite la collaboration des systèmes politiques (17). Il y a une résonance croissante sans régularité entre les montagnes de déchets, les déchets humains et la richesse des déchets en politique ; en Amérique entre Trump et d'autres milliardaires et ce que l'on peut appeler le Trumpisme, et en Inde entre le facisme racial de la caste supérieure qui porte le nom d'"Hindouisme" et quelques milliardaires.
Les déchets se développent en tant que non-composant qui n'est pas compris par le système, bien qu'ils soient générés par le système. Il existe aujourd'hui deux mondes - celui des déchets et celui qui les génère - et leur séparation est ténue. Les diverses accumulations de déchets créent également un nouveau pouvoir politique et une nouvelle éthique du déchet - le déchet prend le pouvoir. Si nous suivons Marx, le calcul total nous donne la société des seigneurs des ordures (18). Les nouveaux seigneurs des ordures au pouvoir dans nos institutions politiques font des gens des ordures, d'une part, et des richesses des ordures, d'autre part. Comme nous l'avons constaté, il existe une anomalie entre les systèmes politiques et économiques et les déchets. La richesse des déchets, quant à elle, se transforme suffisamment en pouvoir politique par le biais des personnes qui sont progressivement transformées en déchets chaque jour. Encore une fois, ce ne sont pas les gens qui sont "déplorables", mais les systèmes de pouvoir et de production qui les ont abandonnés. Par association, les gens qui ont été mis à la poubelle restent des gens, et c'est la rage de ce peuple que l'on trouve souvent incompréhensible dans les tendances du populisme.
Les relations des ordres spécifiques de déchets sont intrinsèquement incapables de former des relations componentielles entre elles. La chimère de ce pouvoir des ordures s'emparant progressivement des institutions familières de la démocratie semble de plus en plus imminente.
NOTES
1. 1010 - 1015, Philoctète, Sophocle.
2. Rapport sur l'état de la gestion des déchets solides à Kochi, Coopération urbaine internationale, Union européenne, https://www.ieup.eu/assets/knowledge-bank/230220210.43935800%201614067870.pdf
3. "L'incendie de la décharge du Kerala : Tout ce que vous voulez savoir à ce sujet", Gulf News, March 08, 2023, https://gulfnews.com/special-reports/kerala-waste-dump-fire-all-you-want-to-know-about-it-1.1678288387342
4. "Mountains of clothes washed up on Ghana beach show cost of fast fashion" (Des montagnes de vêtements échoués sur une plage du Ghana montrent le coût de la mode rapide), The Independent, 27 July 2022, https://www.independent.co.uk/climate-change/news/fast-fashion-ghana-clothes-waste-b2132399.html
5. Voir le documentaire "Fast Fashion - Dumped in Chile's Atacama Desert", Deutsche Welle Television, 31 May 2022, https://www.dw.com/en/fast-fashion-dumped-in-chiles-atacama-desert/video-61985080
6. "De l'habit aux cendres : Clothing Waste in the Atacama Desert", Atmos, 4 August 2022, https://atmos.earth/atacama-desert-chile-unwanted-clothing-waste/
7. Charles Baudelaire, “Le Vin de chiffonniers”.
8. "L'anomie est angoissante et crée des formes transitoires monstrueuses. Hésiode parle de l'anomie dans la conjonction des éléments qui sont sans loi compréhensive ; Typhaon est le monstre ou anomon qui est à moitié serpent et à moitié homme. Sophocle décrit l'anomon comme un être dont les lois sont doublées et qui n'a rien pour les comprendre, comme les Centaures." Shaj Mohan, "Téléographie et tendances : Part 2 History and Anastasis", Philosophy World Democracy 3.4 (avril 2022): https://www.philosophy-world-democracy.org/articles-1/teleography-and-tendencies-part-2-history-and-anastasis
9. "Facing poverty, academics turn to sex work and sleeping in cars" (Face à la pauvreté, les universitaires se tournent vers le travail du sexe et dorment dans les voitures), The Guardian, 28 September 2017, https://www.theguardian.com/us-news/2017/sep/28/adjunct-professors-homeless-sex-work-academia-poverty
10. "'My car is my home' : the California students with nowhere to live", The Guardian, 28 September 2017, https://www.theguardian.com/us-news/2022/apr/02/college-students-unhoused-school-help
11. Ou encore, la profession chargée de transformer tous les "homines carnales" en "homines sapientes" au sens spinoziste du terme.
12. K. Marx, F. Engels, Le Manifeste communiste, https://abolitionnotes.org/communistmanifesto
13. "Farm laws : India farmers end protest after government accepts demands", BBC, 9 December 2021, https://www.bbc.com/news/world-asia-india-59566157
14. "Le défaut principal de tout le matérialisme existant jusqu'à présent - y compris celui de Feuerbach - est que l'objet [der Gegenstand], l'actualité, la sensualité, ne sont conçus que sous la forme de l'objet [Objekts], ou de la contemplation [Anschauung], mais pas en tant qu'activité humaine sensuelle, pratique [Praxis], pas subjectivement." Karl Marx, Thèses sur Feuerbach, 1845.
15. "L'idéologie est un processus accompli par le soi-disant penseur consciemment, certes, mais avec une fausse conscience. Les véritables motifs qui le poussent lui restent inconnus, sinon il ne s'agirait pas du tout d'un processus idéologique". F. Engels, “Lettre à Franz Mehring”, 14 juillet 1893.
16. Bloomberg, 20 March 2023, https://www.bloomberg.com/billionaires/
17. Par exemple, voir "Modi govt allowed Adani coal deals it knew were 'inappropriate'", Al Jazeera, 1 March 2023, https://www.aljazeera.com/economy/2023/3/1/modi-govt-allowed-adani-coal-deals-it-knew-were-inappropriate
18. Voir Karl Marx, Pauvreté de la philosophie,.