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La poussée

23 August 2022

La poussée
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Crédite d’image : reçu

Un an après Jean-Luc Nancy – souvenirs.

à toi

pour H.


J’ai fait ce rêve un an avant ton en allée avec la mer et le soleil. Je te l’ai raconté. Ta réponse vive et enjouée continue de vibrer en moi. Je te le raconte encore avec quelques touches ajoutées, des touches qui font des ondes à la surface. Je remue l’eau du rêve.

1


Des cloches qui sonnent. Ça vibre déjà. Une ville. Rouge de briques. Une maison ? Un atelier ? En tout cas ça s’agite, ça fait des gestes en parlant, ça circule d’une pièce à l’autre. Des gens. J’attends dans l’entrée timidement. Tu me dis : « Timide ? Mais pourquoi ? ». Tu t’affaires. Quelqu’une te parle d’une conférence qu’il faut annuler. Tu n’auras pas le temps. Mille sollicitations. Ça va et vient autour. Ça foisonne. Ça pétille.


2


Nous sommes assis au salon. Tu me montres des carnets de moleskine, en ouvre un, puis un autre. Tu cherches quelque chose. Il y a des notes et des dessins. Quelqu’un, élargisseur du dessin que tu as surnommé Ilya, (1) en lisant ton Plaisir au dessin m’a demandé si tu dessinais car il ne pouvait pas comprendre autrement l’exactitude de tes mots. Ah ! Ça y est, tu as trouvé. Un sourire plie ton visage. Un pli où fraye la pensée. Tu feuillettes et me dis : « Voilà ! C’est ici que le désir a tourné ! ». J’acquiesce et date cette inflexion du désir : « Oui, c’est les années 2000 ! ». C’est quoi un désir qui tourne ? C’est un désir qui a sa fin en lui-même, un désir de désirer. C’est cela que tu dessines depuis toujours, la pensée au bout des doigts. (2)


3


Un préau ? Une grotte mitoyenne ? La grotte Nancy ! Miquel Barceló y peint dans le frais. Affresco. Une fresque avec des lions. Tu es lion ascendant lion. Je suis ours ascendant ours, celui qui griffe les parois chez Blanchot. Le peintre s’interrompt, marche vers toi et te tend une palette avec du vert. Tu restes un temps circonspect en tenant la palette. Puis tu t’y mets. Il faut s’y mettre. Matisse est là tout près. Tu suis le désir de la ligne. Tu es le désir de la ligne. Sa motion, son émotion. « Quand je mets du vert, ça ne veut pas dire de l’herbe ». Tu marmonnes sa phrase, tu la manges, tu as faim. Peut-être peins-tu des herbes folles.


4


Surgissent trois personnes qui t’entourent et te jettent des pigments. Ils t’avertissent : tu ne pourras pas peindre si tu ne goûtes pas les couleurs. Tu opines du chef. Tu t’y mets. Tu sens, tu touches, tu goûtes, tu as des pigments sur les mains et les lèvres. Ton sourire se colore et s’aromatise.


5


Un rythme de batterie, un riff de guitare nous attirent vers la grotte Nancy. Devant la fresque peinte, Laurie Anderson se met à chanter. Ton visage coloré s’anime. Étonnement muet de l’enfance. J’ai la chair de poule. Celle de Pessoa et des matins de voyage. Celle « qui part du cœur pour atteindre la peau, qui pleure virtuellement malgré la joie ».


Au réveil il n’était pas midi. J’avais pourtant embrassé l’aube d’été. L’inconscience créatrice du monde. Ô Clarice Lispector. L’immémorial ou l’existence.


Et ta réponse vive et enjouée :

- J’y étais ! Tu peux en être sûr !


Tu y es toujours, ça, j’en suis sûr ! Ça pousse, tu pousses, tu nous pousses toujours, en tous les sens de la poussée. La poussée, c’est le nom que tu as donné à cette plante photographiée. Elle te le rend bien.

Y.


 

NOTES


1. Bernard Moninot se reconnaîtra.


2. Expression de François Martin.

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