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L’arrêt de l’histoire des sciences

18 May 2023

L’arrêt de l’histoire des sciences
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Gustav Fröhlich dans Metropolis de Fritz Lang’s (1927). Photographe : Harbou Horst von. Crédit d’image : BPK, Berlin, Dist. RMN-Grand Palais.

Divers acteurs ont récemment sonné l’alarme concernant le déclin de la capacité des articles scientifiques à faire rebondir la recherche dans de nouvelles directions. Comment l’expliquer à la lumière des politiques économiques de la science depuis les années soixante ? La condition de possibilité de l’évolution de l’entendement collectif — plutôt que le simple cumul des savoirs — est la théorisation : la réorganisation créatrice et fonctionnelle des connaissances. Ce travail nécessite le savoir-faire de synthèse critique, clef de voûte de la République de la Science. L’instauration d’un système de marché, qui automatise partiellement le jugement de l’originalité des projets de recherche, prolétarise les chercheurs car ils délaissent ou perdent leur savoir-faire de synthèse critique : il n’est plus économiquement aussi intéressant que l’élaboration de promesses qui s’émancipent des résultats passés. Puisque c’est la théorisation qui fait date en articulant explicitement un sens entre le passé qu’elle réorganise et le futur qu’elle rend possible, sa dépréciation contemporaine suggère que l’histoire des sciences s’arrête. Les chercheurs accumulent des savoirs sur des problèmes de plus en plus génériques avec des théories arbitrairement figées dans l’histoire.

Introduction 


Faux départ


« Allons-nous continuer la recherche scientifique ? » En 1972, le mathématicien Alexandre Grothendieck ouvre le débat (1). Les connaissances scientifiques permettent la conception de technologies qui rendent possibles les dégâts toujours plus amples infligés à la biosphère. Si la menace est de nature existentielle pour les êtres humains, pourquoi ne pas cesser l’activité coupable de faire apparaître ces risques ? 


Les inquiétudes qui motivent cette question, posée un mois avant la publication du rapport Meadows, se sont aujourd’hui multipliées. Corrélativement, il apparaît progressivement que l’interrogation de Grothendieck vient défier la valeur morale de la libido sciendi, que nous n’avons cessé de louer — dans tous les sens de ce mot — depuis vingt-cinq siècles. Le problème de cette question réside dans le fait qu’elle s’interroge elle-même en mettant en doute la démarche scientifique ou philosophique qui cherche à savoir, anticiper le futur au lieu de le recevoir (2).


Comment faire disparaître cette « tâche de la pensée » sans trop abîmer le tissu psychosocial qu’elle pétrifie ? Comment limiter les « dommages ! », si ce n’est avec les moyens qui les ont engendrés ? En l’absence de réponses, et parce que l’hygiène intellectuelle nous prévient de taire ces doutes, nous ne pouvons qu’installer méthodiquement nos incertitudes dans l’antichambre, en suspendant notre jugement. Peut-être qu’en hantant nos réflexions, elles participent déjà à prévenir certaines maladresses.


Le besoin et le déclin de la théorisation


« Allons-nous continuer la recherche scientifique ? » La question du mathématicien est contemporaine à l’origine d’un mouvement décroissant qui se targue d’arguments physicalistes concernant les limites de notre monde (évolution de la quantité d’énergie, de déchets, de matériaux, de particules, etc.). Ici, les maux sont principalement causés par le productivisme du modèle économique capitaliste — le degré de reconnaissance de sa responsabilité est une variable d’ajustement de partis politiques.


Une autre analyse pænse ces crises par un désajustement entre un système technique et les savoirs nécessaires à son appropriation individuelle et sociale (3). Ce décalage prend racine dans une vision naïve de la technologie par les autorités gouvernantes et qui conçoivent que l’apparition soudaine d’un nouvel outil libère du temps et des ressources cognitives en soi (4). Cette analyse n’est pas étrangère à la première, car l’innovation technologique implique la croissance économique dans le paradigme actuel. Elle s’en distingue par la critique épistémologique des organisations mécanicistes que la société adopte, par exemple pour son économie.


Pour illustrer ce retard des savoirs, prenons l’exemple de la recherche sur les perturbateurs endocriniens — ces (mélanges de) substances chimiques dérivées de produits industriels qui interfèrent avec l’organisation hormonale de nos corps. Une fois que la toxicité d’une de ces molécules est soupçonnée, elle est longuement étudiée par des chercheuses. Après l’obtention d’un consensus scientifique, les résultats peuvent rivaliser avec les arguments de lobbies industriels auprès d’instances politiques. La législation arrive bien tard, après que les dégâts sont causés. Or, non seulement la liste initiale de perturbateurs endocriniens s’allonge durant ce processus long et coûteux, mais les combinaisons possibles de ces substances que nous savons différemment toxiques sont aussi multipliées (5)


Pour limiter ce désajustement, il nous faut d’abord déplacer notre attention des objets techniques vers les conditions dans lesquelles les effets bénéfiques de ces organes exosomatiques (au sens de Bernard Stiegler) peuvent se manifester — malgré la friction due aux stratégies de marketing qui nous veulent les yeux rivés sur les objets et leurs fréquences élevées d’apparition. Il serait ensuite nécessaire de générer de nouveaux savoirs qui changent notre entendement des enjeux liant la technique au vivant (6). Or ceci ne peut être véritablement fructueux tant que notre conception du vivant est mécaniste, c’est-à-dire procède de l’épistémologie même qui nous permet de comprendre l’outil inerte (7). Ainsi, l’urgence d’un travail théorique considérable s’annonce, notamment en biologie. Il semble donc que nous ayons fait un tour sur nous même pour répondre à la question de Grothendieck par l’affirmative. 


Néanmoins, divers acteurs ont remarqué, avec leur propre langage, un déclin de la théorisation en sciences naturelles. D’abord au niveau politique où l’on constate des réticences à une recherche risquée ou plus précisément « transformatrice », c’est-à-dire « conduite par des idées qui ont le potentiel de changer radicalement notre compréhension d’un concept scientifique important » (8). Le caractère conservateur des projets de recherche financés est confirmé par des expériences, et des chercheurs rapportent, à partir d’analyses quantitatives sur des dizaines de millions d’articles, que leurs productions « rompent de moins en moins avec les savoirs passés d’une manière à pousser la recherche dans de nouvelles directions » (9). En biologie et en psychologie, des scientifiques distingués dénoncent le manque de théorisation dans leurs domaines (10). Enfin, il a été suggéré que la recherche contemporaine promeut des résultats empiriques qui déstabilisent des théories, mais ne promeut pas leurs renouvellements (11)


Comment les politiques économiques de la science ont-elles provoqué ce phénomène ? En nous aidant du modèle de la République de la Science de Michael Polanyi, nous distinguerons deux périodes de politiques des sciences pour modifier simplement ce modèle, et discuterons les effets de ces réformes sur la théorisation.



Une brève histoire de politique économique des sciences


La République de la Science


Avant les années soixante, nous décrivons l’organisation de l’activité scientifique par la République de la Science de Michael Polanyi (12). Frère de Karl Polanyi, membre de la société du Mont-Pélerin, ce physico-chimiste devenu philosophe des sciences et économiste est un personnage atypique. En s’inspirant de la main invisible d’Adam Smith, il décrit une organisation non mécaniciste d’explorateurs qu’il distingue explicitement d’un modèle de marché. Nous reprenons très largement son modèle dans les paragraphes suivants, tout en le réduisant schématiquement pour le travailler ensuite. 


Polanyi décrit des initiatives indépendantes en ajustement mutuel. Chaque chercheur, en tant qu’acteur économique rationnel, maximise la réputation qu’il obtient en produisant des contributions évaluées au regard de critères de mérite. Ces critères suivent deux logiques complémentaires et antagonistes : celle du conformisme (plausibilité, précision, intérêt scientifique du sujet) et celle de l’originalité (degré de surprise des lecteurs). L’évaluation de ces critères de mérite est assurée par des scientifiques qui partagent des zones d’expertise. Chaque membre peut se porter garant de l’ensemble de l’opinion scientifique si ces zones se chevauchent une à une. 


Les critères de mérites étant génériques, l’autorité scientifique est assurée dans une zone restreinte des connaissances après un processus d’interprétation contextuelle de ces critères que tout scientifique se doit effectuer : qu’est-ce qui est original et conforme dans ma sous-discipline ? Cette autorité, qui se constitue par une synthèse critique des savoirs existants, possède une double fonction. Premièrement, elle détermine la sélection des nouveaux projets à financer et des contributions à adouber. Ensuite, elle permet au chercheur qui a fait ce travail de proposer un projet original pour accroître son mérite. 


Cette société d’explorateurs — qui se dirige vers une direction inconnue — repose sur une orthodoxie dynamique qui encourage sa propre contestation. Les critères de mérites dialogiques permettent l’amélioration des connaissances, car un nouvel article change le contexte qui détermine partiellement l’autorité scientifique. Cette circularité rend l’activité scientifique traditionnelle, car l’état actuel des connaissances résulte d’une succession de synthèses critiques qui déterminent des choix individuels argumentés. Ils ne peuvent être compris qu’en retraçant l’histoire des contributions et des transmissions locales de savoirs. Enfin, notons que la dynamique de l’autorité traditionnelle repose fondamentalement sur l’originalité de ses membres.


Michael Polanyi en 1933. Crédit d’image : Wikimedia Commons 
Michael Polanyi en 1933. Crédit d’image : Wikimedia Commons 

Les années soixante et l'idéologie techniciste


La publication de Polanyi est contemporaine à l’apparition d’un intérêt politique pour la science. L’évolution de ce dernier peut être analysé avec « les bonnes pratiques » politiques partagées par l’OCDE (l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques) qui a été et demeure très influente en termes de politique coordonnée d’une science mondialisée. Néanmoins, ces réformes interviennent sans aucun modèle explicite d’organisation pouvant se substituer à celui de Polanyi et l’on peut donc considérer qu’elles se superposent au modèle existant. Nous traduisons ces mesures en termes de variations minimales au modèle présenté ci-dessus, après y avoir résumé les motivations.


Dans les années soixante, l’OCDE remarque que les innovations technologiques assurent une rapide croissance économique (13). Un modèle linéaire d’innovation (recherche fondamentale, recherche appliquée, puis développement et diffusion de technologies) indique qu’il faut financer la recherche fondamentale pour assurer la croissance. Puisqu’il est sous-entendu que la croissance est bénéfique à la société, la science devient un bien public. On ne peut plus la laisser aux mains de scientifiques et le gouvernement doit poser des priorités en matière de recherche. Le projet Manhattan démontre l’efficacité des mesures qui vont dans ce sens (14). D’ailleurs, dans un contexte de guerre froide, aller sur la lune ou construire une bombe atomique est plus qu’une simple question de curiosité (15).


Notons la contradiction qui réside dans l’ajout d’une planification centrale pour une organisation basée sur un modèle libéral. Selon Polanyi, une telle autorité conduirait à une science « à l’arrêt ». Comment cette autorité centrale intervient-elle dans ce modèle ? Nous considérons qu’elle ajoute un critère de mérite non épistémique (la pertinence sociétale du sujet de recherche) et qu’elle en choisit le contenu (16). L’idée que la recherche — source d’une innovation technologique intrinsèquement bonne — doit être asservie à la croissance économique domine encore aujourd’hui (17).



L'Ère néolibérale et le retour de la main invisible 


Le tournant néolibéral de la science à l’entrée du 21e siècle (18) se caractérise par l’introduction d’une compétition artificielle entre chercheurs, par exemple avec des indices bibliométriques générant les effets délétères de la « loi » de Goodhart : lorsqu’une mesure devient un objectif, elle celle d’être une bonne mesure. Un discours ultralibéral de gouvernants souhaite des réformes « inégalitaires » et « darwiniennes ». En prenant exemple sur Mark Zuckerberg, on veut motiver les chercheurs à participer à des projets « grands et nobles » — dans le cadre idéologique donné — pour qu’ils puissent se sentir « fiers d’être européens ». On parle de « taskforce » ou « workforce » scientifiques pour désigner des individus génériques et interchangeables (19).


Les frontières du modèle linéaire d’innovation s’effacent pour un rapprochement grandissant entre recherche privée et publique. Cette tendance fait écho à la corrélation négative entre l’activité de recherche privée et la participation grandissante de l’industrie dans le processus d’orientation des projets académiques. À défaut d’apporter de la science fondamentale dans les start-ups (20), ces dernières ont introduit les « morales commerciales » dans la recherche : une étude, qu’il faut « vendre », est bonne parce qu’elle est acceptée dans un journal renommé (21). L’élaboration de projets scientifiques s’apparente à un rite de promesses irréalistes et certains phénomènes académiques évoquent des bulles spéculatives (22). Des chercheurs accumulent en vain des preuves montrant le caractère délétère des politiques dont ils sont victimes (23)


Cette deuxième période de politique de la science est, elle aussi, en contradiction avec le modèle de Polanyi. Le modèle néolibéral a décentralisé la planification des priorités de recherche, mais dans l’idée d’instaurer un marché de projets scientifiques entre chercheurs et « stakeholders » (industriels et citoyens). L’État joue le rôle des mécanismes émetteurs de signaux et d’instructions, qui oriente les fonds publics vers les recherches qui répondent à une demande (24). Le vocabulaire introduit par F. A. Hayek (25) concernant le mécanisme des prix est repris, de sorte que l’État doit être « flexible » pour « s’adapter rapidement » au changement. Il doit aussi s’assurer « d’envoyer de bons signaux aux ‹ stakeholders › » en introduisant des projets « top-down », c’est-à-dire des « missions orientées » vers un besoin urgent de la société (26). Au regard des remarques précédentes, il est légitime de questionner le poids relatif des citoyens quant aux priorités que la science doit adopter. 


Retenons ici pour notre modèle que le contenu du critère de mérite non épistémique n’est plus issu d’un choix critiquable. Le scientifique doit maintenant s’efforcer, dans l’exercice de son autorité, d’assurer l’équilibre entre la demande (civile, industrielle) qu’on lui communique, et l’offre, c’est-à-dire les projets qui lui sont proposés et qu’il sélectionne. 


Nous venons de voir que la politique de la science a instrumentalisé la recherche puis a instauré un marché de projets scientifiques. Qu’elle soit un instrument, une machine ou un système qui tend vers l’équilibre, la dynamique de cette organisation ne peut s’expliquer, pour des raisons épistémologiques, qu’en faisant appel à une cause extérieure. Or, les chercheurs exercent toujours leur propre contrôle en allouant les fonds disponibles aux projets qu’ils sélectionnent. Pour dépasser ce paradoxe apparent, il faut comprendre comment l’intériorisation des consignes gouvernementales dans la République de la Science est possible. Une étude plus rigoureuse que la nôtre se doit d’introduire les agences de recherches, ne regroupant en pratique qu’une minorité de chercheurs responsables des choix effectués. Non seulement une dimension sociologique importante serait alors à considérer, mais les spécificités des politiques de chaque pays membre de l’OCDE devraient être discutées convenablement (27).



Discussion


L’accumulation des savoirs


Il peut arriver que les projets proposés par plusieurs chercheurs soient semblables. L’histoire des sciences regorge de ces courses à la priorité pour une même découverte et cette remarque sociologique demeure aujourd’hui un postulat des modèles économiques de la science (28). Ce phénomène est d’autant plus important qu’il est constitutif d’une règle fondamentale du jeu de la science : la pluralité conflictuelle. Le savoir scientifique est fonctionnel en société à condition qu’il ait fait consensus, c’est-à-dire que les conflits ayant existé disparaissent (29). La pluralité conflictuelle est aussi émulatrice car l’altérité permet d’affûter les arguments et affiner les positions par l’échange. 


L’introduction d’un troisième critère de mérite non épistémique vient dissiper cette conflictualité, collectivement bénéfique. À un antagonisme (anta, face-à-face, agôn, lutte) poussant chaque acteur à trouver les arguments scientifiques pour combattre ses adversaires, se substitue une concurrence (concurrere, courir vers un même point) entre rivaux qui ont un objectif commun, non épistémique. La nature de la compétition se transformant, les acteurs ont la liberté de ne pas se trouver d’adversaires. La « workforce » scientifique a intérêt — au sens économique du terme — à travailler de manière productiviste sur un projet où, seule, elle ne se verra pas ralentir par une remise en question de son autorité. En pratique, l’écriture d’un commentaire d’article n’est pas encouragée et très peu pratiquée et moins d’un pour cent des citations servent à contredire un article (30)


Dans la République de la Science, les projets en cours d’étude sont justifiés en faisant référence à une succession d’interrogations épistémiques se rapportant à une tradition sous-disciplinaire, à un passé unique et invariant. Les projets se chevauchent inévitablement car ils ont des motivations communes. À l’inverse, si un appel à projets devient un appel à promesses, c’est l’évocation de futurs imaginés et donc multiples qui est encouragée. Ainsi, les savoirs générés avec peu de considération pour l’enchaînement des résultats passés ne peuvent que s’ajouter à ceux-ci plus ou moins indépendamment, sans changer leur sens.


Or, l’effet de nombre a des aspects délétères. Il est décourageant et paralysant pour les jeunes chercheurs et il ne permet pas aux scientifiques plus expérimentés de prendre le temps de lire et d’étudier les recherches les plus originales (31). Le manque d’historicité des projets et des savoirs générés épuiserait-il les ressources cognitives des chercheurs ? Les savoirs seraient plus nombreux, mais les chercheurs peineraient davantage à les utiliser ?


La théorisation comme réorganisation créatrice et fonctionnelle des savoirs


Théoriser consiste à réorganiser la connaissance en faisant des analyses et des synthèses critiques, tout en les englobant dans un discours qui leur donne un sens nouveau. L’activité théorique est nécessaire au processus scientifique, car la théorie détermine le cadre d’observation des expériences. Sans le risque de la spéculation éclairée qui suggère une nouvelle manière de regarder, il ne peut y avoir de réelle évolution de la connaissance (32).


La réorganisation créatrice de savoirs est fonctionnelle quand elle est génératrice de savoirs. Les nouvelles possibilités produites par une recherche doivent être compensées par une synthèse critique et pédagogique des savoirs passés. En les éclairant d’une nouvelle perspective, elle libère le temps de chercheurs en facilitant le travail de contextualisation, de compréhension, et donc de recherche. Une économie de la recherche qui conçoit l’échange de savoirs en négligeant les conditions de possibilité de productions de ces derniers mène à l’impuissance de ses acteurs devant l’éparpillement d’informations sur une bibliothèque numérique gigantesque.


La prolétarisation par le jugement partiellement automatique de l’originalité des projets : la perte du savoir-faire de synthèse critique


La forme de gouvernance qui a été instaurée comme modèle économique de la science repose sur une loi d’équilibre global entre une offre et une demande. Elle peut être inférée d’une somme d’optimisations locales : la dynamique des chercheurs est différentiellement et mécaniquement gouvernée par des signaux (projets ou « missions » financés) qui servent d’instructions pour des acteurs rationnels abstraits. 


Si le marché assume partiellement la sélection des projets de recherche, alors le travail de synthèse critique que doit fournir un chercheur-évaluateur pour juger l’originalité d’un projet (la constitution de son autorité scientifique selon Polanyi) n’est plus que partiellement nécessaire. Parallèlement, une chercheuse évaluée est alors partiellement astreinte aux signaux du marché qui lui indique les projets sur lesquels elle travaillera via des financements sélectifs. Cette chercheuse n’a plus d’intérêt — au sens économique — à faire un travail de synthèse critique pour identifier un sujet original. 


En somme, cette libération par l’automatisation partielle du jugement est économiquement profitable pour l’évaluateur, mais collectivement délétère pour l'organisation puisque les chercheurs perdent leur savoir-faire de synthèse critique : il n’est plus économiquement profitable et donc délaissé. Cette dépréciation s’illustre par le choix des journaux scientifiques de ne pas considérer comme original un article de synthèse, bien qu’il lui soit demandé d’être critique. La nécessité de motiver un projet de recherche par l’existence d’une demande en introduction d’articles témoigne aussi de la diminution de l’importance accordée à l’état de l’art dans des documents dont la longueur moyenne chute de 14,4 pages à 8,4 pages de 1950 à 2014 (33)


L’assujettissement de chercheurs à un système mécanique (le marché déterminant les financements sélectifs) auquel une tâche (le jugement de l’originalité des projets) a été déléguée, et qui prive ces derniers d’un savoir-faire (celui de synthèse critique) est une forme de prolétarisation (34). L’appauvrissement des savoirs par l’automatisation plus générale des savoir-faire est pointé du doigt en biologie (35)


La synthèse critique étant un élément central de l’activité théorique, le savoir-faire de cette dernière suit la même tendance. Notons que la théorisation, grâce au caractère fonctionnel de son objet de production, facilite aussi le jugement de l’originalité, de sorte que l’on pourrait tout aussi bien vivement l’encourager.


Les échanges en recherche et le spectre de Shannon


La communication entre chercheurs ressemble fortement à celle décrite dans les théories de transmission de l’information de Shannon (36). Les articles sont « compressés » pour maximiser leur densité d’information de sorte que le lecteur doit « décrypter » l’article pour en assimiler le contenu. Bien sûr, il y a certaines redondances, mais dans ce cadre théorique, elles sont délibérément ajoutées pour compenser une loi unilatérale de dégradation de l’information lors de sa transmission, c’est-à-dire durant la lecture hâtive de l’article. En recherche, la pédagogie n’est pas l’art de répéter pour compenser un bruit dû à une précipitation.

 

À l’inverse, la place du travail qui consiste à poser des explications, des images, des exemples, identifier des concepts généraux se rattachant aux idées, liés à d’autres opinions contradictoires, et effectuer d’autres redondances jugées inessentielles, est considérablement réduite dans les articles. Pourtant, en plus d’économiser les ressources productives (qui ne sont pas les kilooctets nécessaires à quelques pages supplémentaires), ce travail engage déjà de nouveaux possibles dans l’imaginaire du lecteur. Il y a comme un gaspillage gigantesque de protensions intellectuelles au nom d’une neutralité impersonnelle qui serait synonyme d’objectivité. 


Nous retrouvons une seconde fois le spectre de Shannon, cette fois-ci à travers celui de Polanyi, dans la confusion faite par toutes les politiques techno-économiques de l’innovation depuis les années soixante, et qui attribue la valeur du produit à l'intensité de la surprise éprouvée par son consommateur. En recherche, par exemple, c’est ignorer que la valeur du contenu théorique ne peut être jugée que par l’histoire, par la libération effective qu’elle procurera à quelqu’un, dans un contexte donné.


Épizoodie (2020) — Crédit d’image : Anjan
Épizoodie (2020) — Crédit d’image : Anjan

Conclusion — L’arrêt de l’histoire des sciences


Le travail de théorisation est la condition de possibilité d’évolution de l’entendement collectif. Cette réorganisation créatrice et fonctionnelle fait date dans l’histoire des sciences en explicitant un sens entre le passé qu’elle réorganise et le futur qu’elle rend possible. En prolétarisant les chercheurs qui délaissent ou perdent ce savoir-faire, l’introduction d’un système de marché institue la perte d’historicité des projets de recherche. Il promeut le dysfonctionnement des articles de recherche car il considère leurs valeurs au présent (par le degré de déstabilisation soudaine qu’ils procurent). Les chercheurs partitionnent l'espace indéfini des projets rattachables aux thèmes jugés prioritaires et nous assistons au cumul d’études de plus en plus génériques — issues de demandes moyennes. Cependant, ces travaux sont réalisés avec des théories arbitraires, dont la validité ne tient qu’à l’arrêt de l’histoire des sciences par l’instauration des mécanismes du marché. 


« La fin de l’histoire » proclamée il y a quelques décennies s’avère plutôt être la prophétie auto-réalisatrice d’un modèle techno-économique épistémologiquement anhistorique (37). En considérant le principe d’inertie d’A. Smith, le management optimal de F. W. Taylor, et la redécouverte des équations différentielles par F. A. Hayek (38), peut-être est-il temps de politiser l’épistémologie pour diminuer les souffrances de générations qui subissent le scientisme physicaliste des économistes et gouvernants d’hier et d’aujourd’hui. Il est à peine supportable de voir un monde qui, après avoir accepté en silence d’être gouverné par des principes mécanicistes, se pense aujourd’hui fatalement condamné par des lois immuables. 


Je remercie Marie Chollat-Namy pour sa lecture critique d’une version antérieure de l’article. Ce travail n’aurait pas vu le jour sans la suggestion de Maël Montévil qui m’a soutenu pendant sa réalisation et que je remercie infiniment pour cela. 


 


NOTES


1. Écouter la voix d’A. Grothendieck lors de sa conférence au Centre Européen pour la Recherche Nucléaire en 1972 sur le site du CERN : https://cds.cern.ch/record/912518.

2. J.-L. Nancy, « ‹ La fin de la philosophie et la tâche de la pensée › », PWD, 2021. Pour le parallèle avec les sciences, lire M. Montévil, « Penser au-delà de l’identité : philosophie et sciences », PWD, 2021.

3. Je fais référence à la pensée de Bernard Stielger que je découvre dans B. Stielger, La technique et le temps. Fayard, 2018.

4. La libération est à entendre ici au sens dans lequel Leroi-Gourhan (qui comprend l’évolution technique comme continuation de l’évolution biologique en dehors du corps) décrit la libération de la main par le développement des membres inférieurs : « Comme la main libérée des Australanthropes n’est pas restée longtemps vide, le temps libéré des sociétés agricoles s’est rapidement rempli. » A. Leroi-Gourhan, Le Geste et la Parole : Technique et langage (vol. 1). Albin Michel, 1964 : p. 239.

5. Lire A. M. Soto, C. M. Schaeberle, et C. Sonnenschein, « From Wingspread to CLARITY: a personal trajectory », Nat. Rev. Endocrinol., vol. 17, no 4, p. 247‑256, 2021. Voir aussi une présentation pédagogique récente des travaux liés aux perturbateurs endocriniens suivie d’une discussion sur les enjeux politiques qu’ils suscitent (  https://www.youtube.com/watch?v=4LnjaXetGB0&t=3616s). 

6. Voir B. Stiegler, « Elements for a General Organology », Derrida Today, vol. 13, no 1, 2020 : p. 72‑94 et aussi M. Montévil, B. Stiegler, G. Longo, A. Soto, et C. Sonnenschein, « Anthropocène, exosomatisation et néguentropie », dans Bifurquer, « il n’y a pas d’alternative », Paris: Les Liens qui Libèrent, 2021.

7. Sur cet immense sujet, voir trois travaux récents (du plus philosophique au plus technique) : G. Longo et M. Mossio, « Geocentrism vs genocentrism: theories without metaphors, metaphors without theories », Interdiscip. Sci. Rev., vol. 45, no 3, p. 380‑405, 2020. D. Noble, « Claude Bernard, the first systems biologist, and the future of physiology », Exp. Physiol., vol. 93, no 1, p. 16‑26, 2008. S. A. Kauffman, A world beyond physics: the emergence and evolution of life. Oxford University Press, 2019.

8. Voir les documents de politique publique suivants : National Science Board (U.S.), Enhancing support of transformative research at the National Science Foundation. Arlington, VA: National Science Foundation, 2007. Voir aussi OECD, « Effective policies to foster high-risk/high-reward research », Paris, 2021.

9. Pour des analyses de données rigoureuses, voir M. Park, E. Leahey, et R. J. Funk, « Papers and patents are becoming less disruptive over time », Nature, vol. 613, no 7942, p. 138‑144, 2023. Pour les expériences, voir K. J. Boudreau, E. C. Guinan, K. R. Lakhani, et C. Riedl, « Looking Across and Looking Beyond the Knowledge Frontier: Intellectual Distance, Novelty, and Resource Allocation in Science », Manag. Sci., vol. 62, no 10, p. 2765‑2783, 2016. 

10. Lire M. Muthukrishna et J. Henrich, « A problem in theory », Nat. Hum. Behav., vol. 3, no 3, p. 221‑229, 2019 pour la psychologie et A. M. Soto et C. Sonnenschein, « The proletarianization of biological thought », PWD, 2021 pour la biologie. 

11. M. Montévil, « Computational empiricism : the reigning épistémè of the sciences », PWD, 2021.

12. M. Polanyi, « The Republic of science », Minerva, vol. 1, no 1, p. 54‑73, 1962.

13. Nous retrouvons les prémisses de ces idées dans OECD, Government and Technical Innovation. Paris, 1966 : p.8. « If governments succeed in helping to increase the pace of technical innovation, it will facilitate structural changes in the economy, and increase the supply of new and improved products necessary for Member Governments to achieve rapid economic growth and full employment and without inflation. » Cette citation est retrouvée grâce au travail de référence de B. Godin, The idea of technological innovation: A brief alternative history. Edward Elgar Publishing, 2020. 

14. Sur le projet Manhattan, lire I. Chapela, « Science in the storm 3 – The campus is a battlefield », PWD, 2021.

15. Pour un travail de fond sur la politique de la science à cette époque, lire L. Henriques et P. Larédo, « Policy-making in science policy: The ‘OECD model’ unveiled », Res. Policy, vol. 42, no 3, p. 801‑816, 2013. Préférer la version sur HAL, qui a des différences substantielles avec la version manifestement publiée avec difficultés. Voir aussi la thèse de la première auteure. 

16. Cette considération n’est pas originale. Elle peut être retrouvée dans A. Rip, « The republic of science in the 1990s », High. Educ., vol. 28, no 1, p. 3‑23, 1994. Et A. Elzinga, « The science-society contract in historical transformation: with special reference to “epistemic drift” », Soc. Sci. Inf., vol. 36, no 3, p. 411‑445, 1997. 

17. Pour une analyse fine, voir V. Blok et P. Lemmens, « The Emerging Concept of Responsible Innovation. Three Reasons Why It Is Questionable and Calls for a Radical Transformation of the Concept of Innovation », in Responsible Innovation 2: Concepts, Approaches, and Applications, B.-J. Koops, I. Oosterlaken, H. Romijn, T. Swierstra, et J. van den Hoven, Éd., Cham: Springer International Publishing, 2015, p. 19‑35. Pour une caricature récente, voir A. Nolan, « Making life richer, easier and healthier: Robots, their future and the roles for public policy », OECD, Paris, 2021. Pour la finalité explicite de la recherche, voir A. Petit, S. Retailleau, et C. Villani, « Financement de la recherche », Rapp. Groupe Trav., vol. 1, 2019.

18. Voir notamment M. Nedeva et R. Boden, « Changing Science: The Advent of Neo‐liberalism », Prometheus, vol. 24, no 3, p. 269‑281, sept. 2006. B. Davies, M. Gottsche, et P. Bansel, « The Rise and Fall of the Neo-liberal University », Eur. J. Educ., vol. 41, no 2, p. 305‑319, 2006. P. Mirowski, Science-mart. Harvard University Press, 2011. Pour une entrée en matière moins nuancée mais plus efficace, voir Y. Lazebnik, « Who is Dr. Frankenstein? Or, what Professor Hayek and his friends have done to science », Org. J. Biol. Sci., 2018. 

19. Je regroupe les références dans cette section pénible mais nécessaire. Pour la « loi » de Goodhart, voir M. Fire et C. Guestrin, « Over-optimization of academic publishing metrics: observing Goodhart’s Law in action », GigaScience, vol. 8, no 6, p. giz053, 2019. Pour le darwinisme social en recherche, voir A. Petit, « La recherche, une arme pour les combats du futur », Les Echos, 26 novembre 2019. Pour le discours managérial de l’ancien commissaire européen à la recherche, à l’innovation et à la science (anciennement banquier d'investissement et maintenant maire de Lisbonne) voir L. Evans, « The Lamy report: Ensuring inspirational research », Open Access Government, 2017. Pour le vocabulaire, voir la plupart des documents de politique publique en science et technologie. 

20. Confronter A. Arora, S. Belenzon, et A. Patacconi, « The decline of science in corporate R&D », Strateg. Manag. J., vol. 39, no 1, p. 3‑32, 2018 et les tendances établies dans A. Paic et C. Viros, « Governance of science and technology policies », OECD, Paris, 2019. Pour la science dans les starts-up, voir A. Maxmen et M. Warren, « Investors bet billions on health-care start-ups with paltry publication records », Nature, 2019. 

21. Je reprends ici l’idée de Y. Lazebnik (cité plus haut), qui voit les conséquences des « commercial morals » introduites par F. A. Hayek dans A conversation with Friedrich A. von Hayek: science and socialism. in Studies in economic policy, no. 248. American Enterprise Institute for Public Policy Research, 1979 : « (…) we must, in our professional activities, no longer prefer the known good effects to the profits to be made, but must accept the profits as the signal which tells us how we can best help keep the masses of the population of the world alive. There is, ultimately, a moral justification for selfishness, if you care to call it that, for just obeying the commands of the market system. » 

22. Lire M. Audétat, « Pourquoi Tant de Promesses? Sciences et Technologies émergentes », 2015. Voir aussi P. Mirowski, « The Modern Commercialization of Science is a Passel of Ponzi Schemes », Soc. Epistemol., vol. 26, no 3‑4, p. 285‑310, 2012. 

23. Plutôt que de citer plusieurs travaux qui le mériteraient, il est peut-être plus instructif de montrer le blocage systémique qui ne permet pas à ces résultats d’être entendus. On pourra lire par exemple : « Some macro-analyses show a link between more-competitive funding environments for universities and the productivity of a national research system [Auranen 2010], but these analyses have been methodologically questioned [Sandstrom2018] » dans OECD, « Effective operation of competitive research funding systems », Paris, 2018, qui sera lui-même cité par A. Petit et al., 2019 (cité plus haut) pour soutenir la LPPR. Or, on trouvera dans ces articles « The efficiency calculations suggest, in turn, that the idea of output and competition-based incentives promoting productivity in science is more complex than policy-makers seem to believe. (...) This result raises a crucial question in terms of policy-making. (...) Our results cast doubts over the widespread and self-evident use of funding incentives in research policy and management. » dans O. Auranen et M. Nieminen, « University research funding and publication performance—An international comparison », Res. Policy, vol. 39, no 6, p. 822‑834, 2010, ou encore « Our findings do suggest that many often generally accepted ideas about the relation between evaluation, competitive funding, university autonomy, academic freedom, and performance do not seem correct. That is not only an important research finding, it is also relevant for shaping science policy which should not listen to ideas that lack empirical support and may simply be irrelevant. » dans U. Sandström et P. Van den Besselaar, « Funding, evaluation, and the performance of national research systems », J. Informetr., vol. 12, no 1, p. 365‑384, 2018.

24. Voir D. Demeritt, « The New Social Contract for Science: Accountability, Relevance,and Value in US and UK Science and Research Policy », Antipode, vol. 32, no 3, p. 308‑329, 2000. Voir aussi : E. C. McNie, « Reconciling the supply of scientific information with user demands: an analysis of the problem and review of the literature », Environ. Sci. Policy, vol. 10, no 1, p. 17‑38, 2007. 

25. F. A. Hayek, « The Use of Knowledge in Society », Am. Econ. Rev., vol. 35, no 4, p. 519‑530, 1945.

26. Pour la politique économique des sciences contemporaine, se référer à A. Paic et C. Viros, « Governance of science and technology policies », OECD, Paris, 2019. Ma traduction pour les citations.  

27. Lire le travail précieux de sociologie de J. Laillier et C. Topalov, Gouverner la science: Anatomie d’une réforme (2004-2020). Agone, 2022. Sur la confusion provoquée par l’utilisation du terme vague d’« autonomie de la science » et ses conséquences, voir J. Giry et É. Schultz, « L’Agence nationale de la recherche, fer de lance d’une internationalisation néolibérale de la politique scientifique française (2004-2010) ?: », Rev. Int. Polit. Comparée, vol. Vol. 29, no 1, p. 173‑199, 2022. Cette dernière étude tempère aussi le poids des « bonnes pratiques internationales » dans les réformes effectivement entreprises à l’échelle nationale.

28. Lire le travail pionnier de R.K. Merton, « Priorities in Scientific Discovery: A Chapter in the Sociology of Science », Am. Sociol. Rev., vol. 22, no 6, p. 635, 1957 et l’importance que lui accorde un livre récent de référence P. Stephan, How economics shapes science. Harvard University Press, 2015.

29. Les lobbies industriels, ayant bien compris cet aspect, ont pu se spécialiser dans la fabrique de preuves scientifiques factices et ainsi donner naissance à une nouvelle discipline : l'agnotologie. À ce sujet, regarder le documentaire produit par ARTE « La fabrique de l’ignorance » de Pascal Vasselin et Franck Cuveillier. Lire aussi V. Chaix, M. Montévil, et G. Longo, « Science in the Storm 1: GMOs, Agnotology, Theory – Introduction », PWD, 2021.

30. Un peu d’humour par R. Trebino, « How to publish a scientific comment », Phys. World, vol. 22, no 11, p. 56, 2009. Il faut lire la version originale : https://frog.gatech.edu/Pubs/How-to-Publish-a-Scientific-Comment-in-123-Easy-Steps.pdf. Pour les citations, il s’agit d’un nombre évalué par un algorithme d’apprentissage automatique que l’on peut trouver dans J. M. Nicholson et al., « scite: A smart citation index that displays the context of citations and classifies their intent using deep learning », Quant. Sci. Stud., vol. 2, no 3, p. 882‑898, 2021.

31. Voir une étude importante supportant ces propos :  J. S. G. Chu et J. A. Evans, « Slowed canonical progress in large fields of science », Proc. Natl. Acad. Sci., vol. 118, no 41, p. e2021636118, 2021. 

32. « It is the theory which decides what can be observed » selon Einstein, cité dans W. Heisenberg, Physics and beyond. Allen & Unwin London, 1971.

33. Je dois la remarque sur les articles de « review » à M. Montévil (déjà cité, « Computational empiricism », PWD, 2021) et la donnée sur la longueur des articles à Fire et al. 2019 (déjà cité).  

34. J’entends ce terme dans le sens où il est clarifié dans A. Alombert et M. Krzykawski, « Vocabulaire de l’Internation: Introduction aux concepts de Bernard Stiegler et du collectif Internation », Appareil, 2021. L’utilisation de ce terme en recherche demande une étude en soi. Brièvement, je motive son utilisation au sens de Marx à cause de l’assujettissement à un système mécanique auquel a été déléguée une tâche nécessitant un savoir-faire non mécanisable. Ensuite, dans le sens de Simondon, où le chercheur prolétarisé mais aussi les autorités gouvernantes et les « stakeholders » sont dans l’ignorance du fonctionnement effectif des mécanismes en place. La responsabilité de la décision des projets de recherche étant explosée parmi tous ces acteurs, personne ne peut s’individuer dans son travail (le politique en décidant, le scientifique en concevant, le citoyen ou l’industriel en choisissant). Enfin, au sens de Stiegler, pour l’automatisation du savoir-concevoir. Le chercheur ne conçoit plus son projet mais se range derrière des thèmes génériques. 

35. Voir l’article déjà cité A. M. Soto et C. Sonnenschein, « The proletarianization of biological thought », PWD, 2021.

36. C. E. Shannon, « A mathematical theory of communication », Bell Syst. Tech. J., vol. 27, no 3, p. 379‑423, 1948.

37. L’idée que la fin de l’histoire arriverait quand le marché libre commun sera partout accepté remonte à Hegel, mais est popularisée après la chute du mur de Berlin dans F. Fukuyama, « The end of history? », The national interest, no 16, p. 318, 1989. Je suggère ici, à l’inverse, que c’est le modèle mécaniciste de notre économie dont procède la sensation d’anhistoricité. Pour creuser ces considérations épistémologiques cruciales, se référer à R. Koppl, S. Kauffman, T. Felin, et G. Longo, « Economics for a creative world », J. Institutional Econ., vol. 11, no 1, p. 1‑31, 2015.

38. Paraphrasant Galilée, le postulat d’Adam Smith hante notre rapport au travail depuis quelques siècles : « It is the interest of every man to live as much at his ease as he can, (…) » A. Smith, An Inquiry Into the Nature and Causes of the Wealth of Nations... T. Nelson and Sons, 1887. Cette remarque est inspirée d’une autre similaire dans B. Schwartz, Why we work. Simon and Schuster, 2015. L’attribution, en anglais, du terme « scientific management » au Taylorisme en dit long sur la confusion entre optimalité et scientificité. L’idée de l’article (déjà cité) de F. A. Hayek a été brièvement décrit lors de la description du système de marché.

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